Chronique du confinement – Anissa Bellefqih : L’intranquillité du printemps 2020

L’intranquillité du printemps 2020 Au début de l’année 2020, un virus couronné provoquant une panique…

Le 7 mai 2020

L’intranquillité du printemps 2020

Au début de l’année 2020, un virus couronné provoquant une panique générale est apparu dans le monde. Je me suis confinée très tôt, de mon plein gré, au vu des ravages qu’il occasionnait et de l’incertitude sur la manière de le combattre. Au fil des jours, une intranquillité sournoise s’est installée en moi ébréchant sérieusement ma quiétude. Tant que l’épidémie était circonscrite en Chine, je n’accordais qu’une attention minimale aux infos. Je compatissais, certes, mais l’épidémie paraissait trop loin de nous. Dès que ce fléau s’est rapproché, puis installé chez nous, une curiosité anxieuse me poussa à chercher le maximum d’informations sur la pandémie afin de comprendre les risques et de connaître les moyens d’y échapper. Il fallait que j’apprenne à gérer, au mieux, le fait de vivre cet événement dans la solitude, loin des êtres chers. Heureusement qu’il y avait les réseaux sociaux comme ersatz à ce manque. Ils ne m’ont jamais parus aussi attractifs. J’aimais musarder sur les murs de mes amis virtuels dont la présence m’offrait une proximité distanciée et réconfortante. 

Rapidement, je fus gavée par les infos alarmistes en non-stop. Je me mis à éviter “comme la peste” toute info anxiogène, même dans l’espace virtuel. J’appris, de ce fait, à aimer l’autruche, les trois singes de la sagesse, la tortue et l’escargot qui vivent dans leur maison. 

Je passais mon temps dans ma bibliothèque à essayer de retrouver le chemin de l’écriture, mais Dame Muse était manifestement confinée elle aussi. Une page blanche me narguait en permanence. Je faisais des pauses au balcon qui donnait sur ma rue. Cette dernière, d’habitude si animée, était maintenant silencieuse. Seuls quelques passants masqués et pressés s’y aventuraient. Mon regard s’attardait sur les jacarandas qui étaient de toute beauté avec leur floraison printanière. “Aurai-je droit à un nouveau printemps ? Quand pourrai-je sortir, aller vers les autres, me distraire, rire, aimer, voyager ? Bref, retrouver la liberté et la quiétude perdues.” 

Cette pandémie ne pouvait pas plus mal tomber en s’invitant la veille du Ramadan. Un mois d’excès en tous genres. Et si cela avait un sens ? Tout a un sens. En ce mois sacré, on pourrait avoir plus de discernement et reprendre les rênes de notre vie en donnant à celle-ci une nouvelle orientation. Cela nous obligerait à remettre en question notre mode de vie et notre gestion des relations humaines en établissant des priorités pour que les hommes vivent en harmonie entre eux et avec leur environnement. 

Un malaise diffus m’envahissait. Était-ce de la peur ? Non. Plutôt une projection dans l’avenir couplée à un arrière-fond de stress inévitable. J’étais cependant rassurée par la gestion de cette crise inhabituelle car les autorités, bien encadrées, avaient su réagir efficacement par un travail pédagogique et convainquant qui a fait l’admiration de tous. 

La mesure qui paraissait la plus difficile à faire accepter à une frange de la population frondeuse était l’interdiction de sortie maintenue pendant le mois du ramadan. On croyait le pays clivé en deux factions irréductibles et non miscibles. L’intransigeance des uns et des autres fut maîtrisée et les consignes de survie respectées. Le premier impact sociétal fut que ce mois reprit sa première fonction d’être un mois de spiritualité et non une surenchère puérile sur le plan alimentaire et vestimentaire. Par ailleurs, grâce à une action par paliers puisant dans le référentiel religieux (via les hadiths et recommandations du prophète en cas de peste), la fermeture des mosquées fut acceptée comme une nécessité vitale. L’intérêt général et le pragmatisme ont primé. De plus, l’idée avancée que ce fléau était une punition céleste fut contrée par une autre, tirée du même registre, à savoir qu’il fallait y voir une mise à l’épreuve (notion citée plusieurs fois dans le Coran) pour obliger l’homme à faire une pause de réflexion amenant au changement salutaire. Les mots ont repris ainsi leur rôle premier d’établir un dialogue, de communiquer et de convaincre. 

Et si c’était cela la leçon à retenir de cet événement ? De nouvelles perspectives pourraient être envisagées en toute conscience et un consensus serait possible pour des questions importantes en suspens. 

Demain, ce ne sera ni “le meilleur des mondes”, ni “1984”, ni “la planète des singes”. Ce sera un monde meilleur à offrir à nos enfants avec comme credo : Fraternité et Égalité. Ces deux éléments assureront un monde de paix et de justice. On gardera le meilleur de notre spécificité et l’on trouvera ensemble ce qui est le mieux pour tous, sans exclusion et sans exclusive partisane ou hégémonique. La Religion et la Finance, les deux pôles qui séparent habituellement les hommes, les rapprocheront, car l’Humain sera la seule valeur cardinale, le Graal des Temps modernes. 

Un nouveau monde est-il en train de naître ? Dirigeants et citoyens sauront-ils tirer les leçons de cette pandémie ? L’avenir nous le dira… 

06 mai 2020