Chronique du confinement – Rose-Marie Taupin Pelican : Mon confinement

Mon confinement Mon confinement, sans doute, est singulier car, contrairement aux autres, il relève d’une…

Le 7 mai 2020

Mon confinement

Mon confinement, sans doute, est singulier car, contrairement aux autres, il relève d’une décision personnelle.

J’habite une petite île d’à peine 1100Km2, flanquée au cœur de l’archipel des Antilles, entre l’Atlantique et la mer des Caraïbes ; c’est la Martinique. Comme on en a vite fait le tour, il m’arrive de la quitter pour diverses raisons, mais ceux qui la côtoient de près savent son autre nom : « l’île des revenants ». Alors, quand je m’en éloigne, ce n’est jamais pour bien longtemps. Il faut dire aussi que je l’aime, ce bout de paradis où mes parents sont nés et où, moi-même, j’ai grandi.

            Dans les premiers jours de février 2020, j’étais donc très loin d’elle, dans l’Océan Indien, où j’étais partie à la découverte d’autres îles porteuses d’histoires et de patrimoines différents. Cependant, au tout début de mon périple, alors que je voguais en toute quiétude sur le Costa Mediterranea, j’ai appris avec stupéfaction qu’au Japon, le Diamond Princess, un autre bateau de la même compagnie, avait été mis en quarantaine. Les passagers étaient tous confinés dans leurs cabines à cause d’un terrible virus qui se répandait. Bien sûr, je n’imaginais pas que cela puisse m’arriver, vu la zone dans laquelle je naviguais, mais je me rendais compte du danger que représentaient ces géants des mers en cas de crise sanitaire. Néanmoins, une fois l’émoi passé, j’ai continué à profiter pleinement de mon séjour et ai fait d’étonnantes découvertes dans des lieux extraordinaires.

De retour en Martinique, j’ai été très attentive à la situation des paquebots qui croisaient dans la Caraïbe et qui étaient refoulés ça et là, même si le tourisme pèse énormément dans la balance économique de ces petites îles indépendantes et voisines. Parallèlement, j’observais l’attitude des représentants de l’Etat, en Martinique, et il me semblait qu’ils tardaient trop à agir, attendant les ordres de Paris. Je n’ai d’ailleurs pas hésité à me joindre à un groupe de manifestants, des lanceurs d’alerte, qui demandaient que des mesures sanitaires drastiques soient mises en place pour préserver notre île. Ainsi, quand le Costa Magica et le Favolosa ont, malgré tout, été autorisés à débarquer leurs passagers, je me suis sentie en danger et dès le 8 mars, j’ai moi-même pris la décision de rester confinée chez moi. Je ne comprenais pas que l’on expose ainsi la population à ce risque-là. Pour avoir suivi au jour le jour l’évolution de l’épidémie en Chine, je savais que ce virus n’était pas à prendre à la légère et qu’il valait mieux ne pas le croiser sur son chemin. J’ai donc été consternée quand j’ai entendu dire que la population pouvait aller voter le 16 mars, mais, à ce moment-là, je ne me sentais plus concernée par les consignes qui étaient données. J’étais déjà, moi, confinée et les décisions ne m’importaient plus. A la réflexion, j’ai pu mesurer combien j’étais responsable de moi-même et une sensation de bien-être m’habitait. 

Cela m’a fait sourire quand, en haut lieu, le confinement a été décrété au lendemain des élections. Beaucoup de ceux qui y sont allés l’ont regretté par la suite, mais tel n’est pas mon propos. En tous cas, cet arrêté de confinement me donnait raison. Bien sûr, que c’était cela qui protégerait la population ; mais la mesure arrivait un peu tard, puisque le virus avait déjà commencé à largement circuler.

Ainsi, depuis le 8 mars, je ne suis pas sortie de chez moi et, à vrai dire, cette situation ne me pèse nullement ; cela pour deux raisons.

La première, c’est qu’elle découle d’un choix que j’ai fait moi-même et non d’une « figure imposée ». J’avoue que je déteste que l’on me dise ce que je dois faire, c’est pour cela, je pense, que j’aurais vécu un confinement contraint comme une privation de liberté.

La seconde, c’est que j’ai la chance d’avoir une maison ouverte sur un jardin dans lequel je me sens vraiment bien. J’avais perdu l’habitude de le voir s’animer, de l’observer, et voilà que l’occasion m’était donnée de renouer avec toutes les activités que l’on peut y faire. 

J’ai redécouvert combien était agréable le chant des oiseaux, en notes mineures ou majeures, sous ma fenêtre, au réveil. Du coup, mes grasses matinées devenaient interminables.

J’ai réappris à apprécier la caresse, douce ou mordante, du soleil de midi qui révèle les belles nuances de mes massifs de pervenches ou des ixoras.  

Je n’ai plus eu d’excuse pour ne pas prendre le temps de choyer mes bougainvillées souvent en manque d’eau mais aussi d’attention. 

J’ai fait la course avec les oiseaux qui voulaient pour eux seuls toutes les mangues et j’en ai cueilli par dizaines et leur en ai laissé autant. 

J’ai retrouvé le bonheur de cultiver moi-même mes laitues, mes radis et mes tomates. J’ai pu récolter à temps mes belles mandarines bien jaunes que je dégustais aussitôt. 

Ah oui, il y a du bon dans ce confinement ! J’avoue n’en avoir jamais ressenti la lourdeur ni la contrainte. J’ai enfin du temps pour moi et pour les activités toujours renvoyées à plus tard.

Il y a, par exemple, cette balancelle que j’avais achetée depuis deux ans et qui n’était toujours pas montée. La voilà maintenant en place sous le gros sapotillier qui me gratifie de son ombre. Je profite aussi de la brise qui me berce quand, lasse, j’ai besoin d’un peu de répit.

Les jours coulent, ils filent même, et j’ai encore tellement de choses à faire ! Il y a le piano qui attend que je veuille bien soulever son couvercle pour inonder mon séjour feutré des petites notes hésitantes que je peux encore jouer mais le temps me manque. J’aime autant installer ma machine à coudre pour donner forme à ces beaux tissus offerts par ma sœur juste avant qu’elle ne prenne l’avion qui allait s’écraser avec elle. Et voilà que l’angoisse remonte. Non, laissons là ces tissus. Il est plus urgent de se tailler des masques pour le cas où il faudrait sortir. Mais je n’ai l’intention d’aller nulle part. J’ai découvert que je pouvais me faire livrer mes courses aussi bien que les fruits et légumes. C’est génial ! J’ai toujours considéré que cela me faisait perdre du temps. Donc une fois par mois, je suis ravitaillée, sans contact puisque tout est livré devant ma porte après l’achat et le paiement en ligne. J’aime les progrès de ce genre. 

Dans les premiers temps, j’ai pensé que ma muse était, elle aussi, confinée car je n’avais nulle envie d’écrire. Ce n’était pas gênant puisque j’avais, par ailleurs, tout un tas d’activités en file d’attente. Je n’ai même pas envisagé une séance de rangement ou de nettoyage, activités qui me maintiendraient enfermée dans la maison. J’ai privilégié tout ce qui pouvait se faire dans le jardin ou sur ma terrasse ouverte aux quatre vents. C’est vraiment là que j’ai mes quartiers, mon coin pour l’écriture et mon espace pour mes activités sportives. 

Ce qui est, par ailleurs, non négligeable, c’est cette faculté de dédoublement que nous avons. Même quand le corps est en vase clos, l’esprit, l’imagination, les idées vagabondent. On se projette aisément à des milliers de kilomètres. Et puis il y a aussi tous ces moyens de communication qui font que l’on n’est jamais seul. En temps réel, on voit, on converse avec parents et amis qui sont par-delà les océans. WhatsApp occupe une large place dans mes rapports avec les miens mais je déplore aussi l’arrivée massive de vidéos de toutes sortes par ce biais-là. Une vraie pollution.

Avec le confinement, j’ai décidé de prendre le temps de faire du sport tous les jours. J’y suis presque arrivée et j’avoue y prendre plaisir car cela me permet, en même temps, d’écouter la musique que j’aime.

Oui, je mets à profit cette période de pause pour faire ce que mon train de vie très « speed » ne me permettait pas de réaliser. Je ne connais pas l’ennui et ne vois pas passer le temps. Ce qui est drôle, c’est que souvent, il me faut aller consulter mon téléphone pour savoir le jour ou la date. Je vis, je me laisse vivre, j’en profite, j’habite une sorte de sérénité, je fais les choses que j’aime et je me dis que c’est peut-être cela le bonheur.

Et puis, en mode « pause », on réfléchit beaucoup. Tout le monde le fait, je pense. On s’interroge sur sa façon de vivre, sur ses choix, sur demain. Allons-nous repartir dans la même direction, une fois que l’on repassera sur « go » ? Le monde va mal, notre planète va mal, vraisemblablement parce que nous n’avons pas opté pour les bons paradigmes ; alors, allons-nous continuer sur le même modèle ? Certes, dans mon coin, j’arrive à me sentir heureuse, mais le ressenti est-il toujours le même quand je vois ces enfants mourir de faim en Haïti ou en Afrique ? Ce ressenti est-il toujours entier quand je vois comment notre terre est polluée, quand je vois les animaux et les humains en souffrance ? Non parce que quelqu’un m’a appris un jours le sens de « UBUNTU », c’est-à-dire « Je suis parce que nous sommes ». Le bonheur n’est vrai que s’il est partagé. La terre n’est belle que si nous y sommes tous heureux. La levée du confinement sonnera-telle un nouveau départ ? 

Le 07 mai 2020