Chronique du confinement – Fatoumata Keïta : Saison d’espoir infini

Dans la vie, les épreuves viennent à nous pour nous tester, pour tester notre capacité…

Le 12 mai 2020


Dans la vie, les épreuves viennent à nous pour nous tester, pour tester notre capacité de nous réinventer afin de continuer à être accueilli par la terre. 

L’anthropologie nous fait comprendre qu’il y a eu avant nous beaucoup d’autres espèces vivantes sur la terre. Certaines, comme les dinosaures ont disparu. Seules celles qui ont prouvé une capacité d’adaptation ont pu continuer à survivre sur terre. Toutes celles qui n’ont pas pu s’adapter aux changements, et Dieu sait qu’elles étaient nombreuses, ont péri. C’est pourquoi les araignées et les cafards, qui ont survécu jusque-là, ont beaucoup de choses à apprendre aux autres espèces vivantes, particulièrement aux humains, pour leur permettre de renforcer éventuellement leur capacité d’adaptation, donc de survie.

Ce qui arrive à l’humanité en ces temps de Covid-19 peut être facteur de changements favorables pour son avancée si on en tirait les leçons nécessaires.  À chaque fois que l’humanité fut éprouvée et arrêtée dans son élan, après, elle a pu mieux repenser son existence en dépit de la douleur et des pertes. En attestent les guerres et les épidémies qui ont marqué le monde mais qui ont permis de le repenser, de le re-panser en trouvant des remèdes par le biais d’une réorganisation ou de la recherche. Voilà pourquoi il est peut-être nécessaire que l’humanité s’arrête de temps en temps pour se retourner sur le chemin parcouru et capitaliser son expérience en termes d’acquis, de stratégies, de savoirs, de savoir-faire, de savoir-être et de savoir-enseigner. 

Le Covid-19 peut être un facteur de changements favorables pour l’avancée de l’humanité si cette maladie arrive à nous rappeler pour de bon que les êtres humains, qu’ils soient noirs, blancs, jaunes ou rouges, partagent une destinée commune face à la vie et face à la mort. Si cette maladie arrivait à nous faire saisir une fois pour toutes qu’il y a nécessité d’agir ensemble pour sauver le monde au risque de périr collectivement du moment où la santé de nos voisins ou leur mal-être peut nous sauver ou nous affecter. 

Le Covid-19 peut être facteur de changements favorables pour l’avancée de l’humanité si nous arrivons à nous rendre compte que l’opportunité nous est ainsi donnée de tester notre capacité de résilience et d’adaptation aux situations nouvelles, et de reconsidérer en termes de connaissances et de capacité d’invention dans différents domaines de la vie afin de mettre à la disposition d’une humanité confinée les moyens de sa survie. Cette maladie nous donne l’occasion d’explorer nos potentiels comme c’est le cas devant toutes les dures épreuves de la vie. Elles nous donnent la chance de dépasser nos propres limites et de pousser notre imaginaire.

Notre destin d’être humain, c’est de résoudre les problèmes que nous rencontrons quotidiennement sur le chemin de la vie, en nous réinventant et en réinventant de nouvelles stratégies, de nouvelles façons de faire, de penser, d’agir, de nous conduire et de nous réorganiser. 

Le Covid-19 peut être facteur de changements favorables pour l’avancée de l’humanité, car cette pandémie nous aurait permis de rassembler tout ce que l’humanité possède en termes de capital de connaissances et de potentiel de résilience. Elle nous aurait poussés à nous surpasser et à réunir nos forces pour une solidarité transfrontière. 

Il était impensable pour certains continents d’imaginer l’ensemble de ses habitants un seul jour à la maison, enfermés, comme des prisonniers. La France, l’Espagne, l’Italie, la Chine, les USA ont vécu cette expérience plus d’un mois maintenant. Ils n’en sont pas morts, ils n’en mourront pas.  Ils s’en sortiront d’ailleurs fortifiés et humbles en vivant autrement désormais, avec de nouvelles habitudes, de nouvelles priorités, un nouvel ordre. Espérons que cela permette qu’on fasse plus attention à l’humain, à l’humanité et à la terre, notre hôtesse. 

Le Covid-19 peut être facteur de changements favorables pour l’avancée de l’humanité si elle nous permet de nous aimer davantage, de refouler notre égocentrisme en manifestant de la compassion et de la solidarité à l’égard de ceux et celles à qui on a manqué de le faire si souvent. 

Le Covid-19 nous fait aussi avoir une pensée positive à l’égard de tous ceux et de toutes celles qui ont risqué leur vie au Mali pour aller voter et qui manifestent aujourd’hui une révolte dans les rues de Bamako, dans toutes les communes et dans toutes les villes consécutivement aux arrêts de la cour constitutionnelle.  Elle est à comprendre, leur colère, face au détournement de leur vote. Il est à comprendre et à prendre au sérieux, leur ras-le-bol à propos du couvre-feu de 21h qui les empêche de trouver leur pain de survie dans un contexte déjà difficile où, avec la maladie du Covid-19, aucun moyen d’accompagnement n’a été encore mis en place pour assister les familles. Elle est à comprendre, leur rage face aux délestages de l’énergie du Mali, une énergie qui ne s’améliore pas et qui reste inefficace depuis des décennies.

Le Covid-19 peut être facteur de changements favorables si elle peut permettre de revoir nos attitudes et nos habitudes, de repenser un système malsain qui met les médiocres au centre de la vie publique, dans des instances de décision où ils manquent la clairvoyance nécessaire pour conduire efficacement la destinée d’un pays. Les politiques ont montré leurs limites presque dans tous les pays du monde, face aux grands défis que l’humanité connait. Cependant, la présence d’hommes et de femmes lucides, porteurs et porteuses de valeurs d’honnêteté, de loyauté à l’égard du peuple, de paix et de travail demeure indispensable pour le progrès des nations. Car les dirigeants doivent être les premiers à donner l’exemple et à permettre qu’on se réfère à eux. 

Le Covid-19, ce petit virus invisible et terrifiant devant lequel le monde tremble a fait une entrée fracassante dans nos vies. Cependant, sa présence nous permet de partager des moments avec nos conjoints et conjointes et à ouvrir une fenêtre de quiétude pour inviter les enfants afin de leur raconter une histoire. Elle nous permet de visiter les jardins de projets de nos enfants et de pouvoir en discuter avec eux. Elle nous permet d’être davantage câlins avec nos parents que nous portons au fond de nos inquiétudes et de nos peurs depuis l’annonce de cette maladie. 

Le Covid-19 peut être facteur de changements favorables pour l’avancée de l’humanité si elle arrive à implanter définitivement dans nos vies cette unité tant cherchée et l’habitude de tendre une coupe de tendresse à nos amis, à nos frères et sœurs, en les appelant désormais pour savoir comment ils vont. Et c’est cela le bon changement, celui qui permet de mettre l’être humain au centre des préoccupations, avant tout autre intérêt.  

Préservons nos vies en respectant les gestes barrières, en nous protégeant pour nos enfants et toutes ces personnes que nous avons encore à chérir. Cependant, la dramatisation et l’exagération peuvent avoir aussi pour conséquence la terreur et le traumatisme qui pourraient avoir leur lot de morts. Il est utile pour illustrer cette partie de conter cette histoire qu’on tient d’un humoriste durant le temps de la peste. La peste sortit un matin et dit à un homme qu’il rencontra dans la rue : « je pars de ce pas au pays des humains et je vais y prendre 5000 vies aujourd’hui. Le soir, quand la peste quittait le pays des humains, 50 000 vies avaient été prises. L’homme qu’elle rencontra alors qu’elle sortait le matin pour prendre 5000 vies dans le pays des humains l’apostropha à son retour en ces termes ; « tu avais dit en partant ce matin que tu partais pour prendre 5000 vies mais j’apprends que tu en as pris 50 000. Tu n’as donc pas respecté ta parole. » La peste répliqua alors à l’homme en ces termes : « Moi, pourtant, je n’ai pris que 5000 vies, le reste des 45000 vies qui sont mortes à cause de la peur de me voir si prêt et de la mauvaise gestion de cette peur ».

Donc au lieu d’avoir la phobie de mourir, le pourcentage de mortalité s’étant avéré faible avec le Covid-19, et nous savons tous et toutes que nous ne sommes pas venus pour rester éternellement sur terre, alors ce dont nous devons avoir peur, c’est de vivre sans servir à rien, sans être utile à aucune cause. Ne nous préoccupons donc pas de la mort. Nous sommes venus sur la terre sans que personne ne nous demande notre avis et nous nous en irons, bon gré mal gré, sans que personne n’ait besoin de savoir quand est-ce que nous embarquons. Cependant, nous ne serons appelés que lorsque sonnera notre heure. Au lieu donc de nous préoccuper de notre mort, préoccupons-nous des personnes qui n’ont pas les mêmes capacités de défense immunitaires que nous, et qui peuvent se trouver atteintes par cette maladie, si nous ne nous protégeons pas, ou pas correctement. Préoccupons-nous de ce que nous pouvons faire pour un meilleur devenir de l’humanité, en luttant contre le Covid-19.

L’humanité a traversé bien d’épreuves sans savoir comment elle a trouvé la résilience nécessaire pour survivre face à certaines expériences difficiles.  Cette capacité dépend de notre désir de survie. La vie est toujours belle et c’est pourquoi nous allons continuer à la vivre, même si c’est pour la vivre autrement. Nous ne sommes pas dans des cachots, ni sur les chemins de l ‘exil. Nous ne sommes pas dans les bateaux d’exportation ni même dans les camps de concentration.  Certes les frontières sont fermées sur nous mais dans notre petit monde nous voyons et entendons ce qui se passe chez nos voisins. Nous pleurons avec eux ; nous nous inquiétons pour eux et ils s’inquiètent pour nous. Alors profitons de la vie qui nous est encore laissée et qui est la seule chose indispensable au bonheur. Préservons-la, le meilleur est pour demain.

 L’humanité est passée par bien de déserts plus rudes. 

Rappelons-nous le peuple de Moïse. Il n’y a pas de sécheresses qu’il n’ait pas connues, ni d’arides combats qu’il n’ait faits, ni de maladies qu’il n’ait affrontées. Cependant, il a survécu à toutes les atrocités.

 Rappelons-nous les guerres mondiales, les guerres d’Israël, d’Irak, de Palestine, de la Côte d’Ivoire, du Libéria…

Rappelons-nous le temps de la peste qui a ravagé trente à cinquante millions de vies humaines.  L’humanité a toujours survécu et survivra toujours. Elle en a les moyens et aujourd’hui encore plus qu’hier. Elle en a l’intelligence et le pouvoir. Moi, je ne crois pas en la fin du monde ; je crois en la fin d’un monde donné. Je crois à la fin d’un ordre établi. Je ne crois pas au triomphe d’un complot. Aucun complot ne peut décider de notre survie, car si nous sommes là, sur la terre, c’est que nous devrons y être.
Partirons toujours ceux qui doivent partir, ceux pour qui il est temps de partir, et demeureront ceux qui doivent encore continuer le chemin. 

Le Covid-19 peut être facteur de changements favorables pour l’avancée de l’humanité si nous refusons de nous laisser abattre, si nous refusons de nous laisser sucer. Et nous ne nous laisserons pas abattre, nous ne nous laisserons plus sucer. Nous demanderons des comptes pour les milliards de CFA qui ont été collectés au nom de la lutte contre cette maladie. L’avenir sera radieux. Continuons à espérer, à chercher les solutions communes, à travers la solidarité collective. Les lendemains seront peut-être difficiles mais le chemin sera mieux fourché et la vie mieux repensée et re-pansée, osons l’espérer. Nous mettrons le Covid-19 au chaos et nous le dirons à nos enfants qui raconteront cet exploit à leurs enfants, nos petits-enfants. Il a fallu le Covid-19 pour que nous fassions le bilan du matériel éducatif développé pour enseigner à nos enfants à distance, de façon virtuelle. Il a fallu le Covid-19 pour que nous nous rendions compte que c’était utile de faire ce que nous avons fait dans le domaine de la formation à distance avec les émissions interactives audios, avec les leçons de calcul à la radio. Cependant, nous nous rendons compte aussi que nous aurions pu mieux faire, que nous aurons pu créer depuis longtemps, comme il avait été décidé, une télévision éducative qui n’aurait eu pour mission que l’éducation et l’enseignement de tout ordre, en cette période de crise sanitaire et sécuritaire. Après le Covid-19, des efforts seront certainement consentis dans le sens de l’enseignement et du travail à distance, afin de prévoir d’autres lendemains incertains. Des voies seront explorées pour mieux relever le défi de l’éducation en dehors des salles de classe, pour mieux faire le travail loin du bureau, afin de mieux outiller le monde en général, le malien en particulier, face au contexte de crise et de risque d’insécurité de toute sorte dans le monde. Le Covid-19 peut être facteur de changements favorables pour l’avancée de l’humanité si les milliards collectés par nos autorités au nom de cette crise sanitaire permettaient de construire des hôpitaux et de préparer des espaces dignes de confinement. L’ensemble du pays ne disposait que d’une cinquantaine de respirateurs, outils indispensables à la prise en charge des cas compliqués de Covid-19. Alors, cette épidémie nous a montré notre état d’impréparation, comme il fut le cas dans beaucoup d’autres pays, pour la prise en charge des cas de maladies compliquées en réanimation.

Ce que nous vivons avec le Covid-19 est venu pour nous éprouver, mais cela peut aussi nous changer et nous faire changer d’angle de vue. Le Mali doit être repenser de façon à guérir les blessures et à ouvrir la fenêtre d’un avenir où les dirigeants se rapprochent du peuple au point de soigner leurs plaies, où les problèmes sont recensés pour y trouver de façon stratégique et pérenne des solutions durables.
Avant que cela ne se passe, travaillons même si c’est à distance de façon à constituer une société civile moins indifférente aux problèmes du peuples, moins négligent du devenir du pays. Inventons de nouvelles façons de nous saluer, de coopérer, de collaborer, de travailler, de nous respecter en nous souciant les uns des autres et en nous souciant du pays.

Lisons le livre de la vie pour y découvrir les miracles du travail bien fait ; écrivons le livre de nos jours pour graver nos expériences, nos peurs mais aussi nos espérances et nos rêves.

Méditons afin de nous apercevoir des merveilles que la vie nous octroie chaque jour et grâce à la seule santé ; rions de nos bêtises mais de nos malices à pouvoir tirer une fleur du mal que nous vivons.

Bricolons un toit pour nos lendemains dans la transparence et dans le souci de l’autre; collectionnons ce qu’il nous faut pour réussir nos projets de demain, regardons ensemble un film en famille pour recentrer nos vies ; déclamons un poème pour y tisser nos rêves, jouons à un instrument pour adoucir nos jours, chantons une symphonie pour agrémenter nos nuits, dansons avec les anges pour égayer les Dieux, faisons un jeu pour tromper le temps et oublier nos rides, réfléchissons à la manière d’inventer des jours meilleurs pour nos enfants, expérimentons de nouvelles choses pour vivre différemment l’avenir, explorons de nouveaux horizons pour rappeler la paix qui nous manque tant ; pensons de nouveaux projets pour construire un futur certain, mais tout cela dans l’engagement et le respect des mesures barrières.

Le Covid-19 peut être facteur de changements favorables pour l’avancée du monde si nous voyions au fait de nous arrêter une opportunité de nous reposer, de prendre du recul pour mieux sauter.

 Nous méritons de nous arrêter, de nous poser un peu, de souffler, car nous avons trop longtemps marché, couru, sué, trop longtemps été essoufflés, épuisés, écrasés et nous sommes si souvent passer à côté de l’essentiel : le bonheur.

Mais, dites-moi IBK, comment pouvons-nous être heureux si nos enfants sont privés de s’instruire et de se construire un avenir merveilleux ? Dites-moi comment et que le Covid-19 ne nous fasse pas oublier nos anciennes plaies qui puent ?

Fatoumata KEÏTA

Le 11 mai 2020