Chroniques du confinement Marijosé Alie : Jour 5 de confinement (I). Voilà je sors du tribunal (II).

Jour 5 de confinement Cette nuit a été assez exceptionnelle D’abord il faisait jour  et…

Le 15 décembre 2020

Jour 5 de confinement

Cette nuit a été assez exceptionnelle

D’abord il faisait jour 

et seule au milieu de l’océan accrochée à la barre de mon petit voilier je jetais bord sur bord dans la lumière rasante, cap sur l’horizon qui n’en finissait pas de s’éloigner 

 En confusion totale je ne comprenais pas pourquoi mes filles n’étaient pas là avec moi, c’était me semblait il la moindre des choses et mes maris, mon petit-fils, la liste des visages s’allongeait au fur et à mesure que ma peur se précisait. 

J ‘ai une peur une seule, que mon chemin sur l’océan croise un énorme cargo aveugle qui fracasserait ma frêle barcasse c’est pour cela que je crains tant la nuit … Lorsqu’une ombre énorme et maléfique se profila je ne savais si c’était l’étrave écrasante d’un porte container ou si c’était la nuit qui me tombait dessus alors je me suis mise à hurler pour l’avertir sachant qu’il n’entendrait rien et m’écraserai comme une punaise sans jamais savoir qu’il l’avait fait …. alors ???

la gorge  en feu je contemple les dégâts 

aucun

assise dans mes draps froissés je touche les jambes de mon compagnon, je me sens comme on se sent au sortir d’un cauchemar et qu’on essaie de rattraper le réel 

et le réel me percute comme un train à grande vitesse 

en fait c’est un rêve qui m’a réveillé pas un cauchemar le cauchemar c’est maintenant 

elle est extraordinaire cette faculté qu’a le sommeil de nous bercer dans un dédale d’oubli qui lisse les traits et fait papillonner les paupières 

en contemplant le visage apaisé de mon homme je l’envie , le temps d’un soupir 

entre les murs je suis safe tranquille avec mon planning tiré au cordeau qui ne laisse aucune place à l’improvisation moi qui ne suis qu’improvisation 

aujourd’hui cela avait été mon tour de faire les courses, on n’a pas encore l’habitude de ne rien oublier , tout était tellement facile avant, tu oublies tu redescends même la nuit il y a toujours un truc ouvert qui tend les bras à tes défaillances de mémoire alors pourquoi s emmerder à tout bien penser 

dehors ce qui m’a interpellé ce n’est pas la démarche furtive des rares ombres que je croisais , le regard fuyant  et la bouche protégée d’une écharpe dérisoire ??? non ce n’est pas cela quoique j’ai eu parfois envie de hurler -mais on peut se dire bonjour quand même, c’est le moment de s’arrêter quand on se croise , de se voir enfin même à distance et de se reconnaitre -mais non, on dirait que c’est pire qu’avant 

et puis une perle s’est posée sur ma main, une fille toute jeune au regard malicieux, elle s’accroche À son caddie au sortir du super marché plante ses yeux dans les miens, ils sont pleins de sourire et lâche « putain la merde que c’est «  puis elle me fait une salutation japonaise les mains jointes la tête penchée je lui répond et nous sommes un ilot de bonheur dans cet endroit qui est encore plus moche maintenant que le silence le contemple 

car c’est cela qui m’a vraiment interpellé, le silence …. la cité n’est plus que silence , débarrassée du bruissement futile de la vie ordinaire la ville se tait, elle n’a rien à dire et c’est terrible 

il faut la remplir de pensées subtiles, d’échanges profonds , de pas de danse esquissés dans la tête il faut lui donner l’énergie du vivant sans l’agitation des corps 

je pense à la mer qui se rassemble inlassablement pour déferler sur les plages les côtes les falaises les criques je pense à la terre qui se plisse lentement pendant des millénaires pour inventer des paysages et des pays vertigineux , je pense aux odeurs que nous savons recueillir au creux de nos rêves je pense à la morsure du froid sur la peau nue à la douceur de l’air sur les bras découverts et à tout ce qu’il faudrait faire pour que la cité nous ressemble enfin….

A la caisse , la dame sous son masque a levé les yeux de son écran , j’aimerai tant qu’elle me regarde enfin , je lui dit que je la vois et que je la reconnais malgré la coque qui lui dissimule les traits, on rit toutes les deux , il y a des papillons qui frétillent autour de mon plexus , à un mètre de moi un type fait la gueule  il n’a pas trouvé son jus d’orange habituel, il s’accroche , rien ne va plus, je lui affirme que l’autre marque bio est aussi bonne , il grommelle sans me regarder , c’est pas grave ….je quitte la caisse avec regret c’est mon moment de socialisation , dans cette longue séquence de sciences fiction  qu’est devenue notre quotidien , je récolte les petits cailloux blancs du petit poucet , le chemin magique qui doit me ramener à la maison de moi-même…

Quand je suis rentrée ,après les ablutions obligatoires l’isolement de mes courses dans le couloir pendant 2 bonnes heures , le passage à l’eau javellisé de tout emballage , une halte devant les infos – on se regarde tous les deux les italiens sont en train de bruler leurs cadavres sans tambour sans trompettes sans famille- désarroi , après une séance de fou-rire devant les facéties qu’inventent les hommes sur  les réseaux sociaux ,après une partie de scrabble que je ne gagne jamais , une conversation avec le piano, un petit duo guitare piano voix -que c’est bon la musique – j’ai pris ma plume et mon papier ou plutôt mon ordinateur ….écrire en pays confiné quelle étrange situation…est ce que la liberté que j’interdis à mon corps peut s’exprimer dans mon imaginaire par autre chose que des pulsions furieuses et chaotiques, ou vais-je trouver un peu de sérénité pour organiser mes colères , et sont-elles les mêmes, que vais-je faire de ce débordement d’amour qui ne rencontre aucune peau aucun souffle qui ne soit ceux de mon compagnon ? 

En fait le plus dur est d’écrire  sans connaître la fin de l’histoire , je vais apprendre je vais apprendre , en attendant excusez-moi je vous quitte car j’ai rendez-vous sur mon balcon avec tout le reste du pays pour applaudir très fort ceux qui soignent qui préservent qui éduquent qui bravent la mort , c’est à dire d’une certaine façon j’ai rendez-vous avec nous pour une immense ovation .

02 avril 2020

Voilà je sors du tribunal

Je devrais être soulagée.

J’ai perdu mon amour, ma vie, ma dignité, quelques dents, j’ai 2 côtes cassées, une bouche sanglante sur l’omoplate et des milliers d’ecchymoses dedans et dehors, mais je devrais être soulagée !

Malgré le confinement et même si c’est à vitesse d’escargot la justice fait son travail :

Pendant 5 mois, tu seras enfermé et ta violence sera loin de mes enfants de nos enfants loin de moi.

J’ai 5 mois pour respirer, recoller mes côtes, et essayer de réduire la fracture que je suis devenue, la plaie ouverte que je dois habiter avec les trois petits d’homme que nous avons fait ensembles la justice a parlé :

pour m’avoir bousculée et réduite en bouillie pendant des années, tu devras pendant 150 jours réfléchir derrière les barreaux.

Je devrais être soulagée!

Le premier confinement a sublimé notre relation.

Tu ne revenais pas du boulot enragé cherchant le diable dans les détails, un poulet trop cuit, une réponse trop crue.

Tu mijotais tout au long du jour dans ce face à face avec moi, une colère qui montait montait en même temps que la terreur, faisant de notre salon l’antichambre d’un enfer qui avait la violence de tes poings, le goût du sang dans ma bouche et mon pauvre corps tout mou bien piètre rempart pour protéger les petits .

Mais qu’es-tu devenu toi que j’avais élu protecteur de mes jours et de mes nuits, père de mes enfants celui avec lequel j’avais noué le plus beau contrat du monde celui de l’amour?

Où est-il ce mec et qui est celui qui m’écrase son poing sur la figure qui m’écrase son bras sur la gorge qui m’écrase sa semelle sur la poitrine qui m’écrase de mots qui me jettent plus bas que la boue des caniveaux ?

Qui est ce mec dont la vue seule couvre ma peau de la sueur épaisse de la terreur ?

Qui est ce mec dont la voix affole mon ventre d’une incontrôlable panique?

Est-ce le même ??

Je devrais être soulagée !

La fois de trop c’était ce 8ème jour du premier confinement j’ai d’abord vu ton sourire, le même qui m’avait charmé avec les fossettes et tout, et puis tous ces verres que tu as vidé et les hurlements que tu poussais parce que … je ne sais même plus pourquoi.

Et les 3 petits cachés dans le placard de notre unique chambre et ce couteau que j’ai vu surgir derrière la folie de ton regard et cette brûlure dans mon dos qui fuyait, et les voisins et la police et ce sang partout.

Ce 8ème jour a été le jour de trop.

Pendant que les gendarmes t emmenaient je m’imaginais grande et forte. Plus grande et plus forte que toi, écrasant ma main sur ta face clouée au mur jusqu’ à ce que le sang te sorte par les oreilles. J’imaginais mille humiliations que je ferai subir à ton corps, mille tortures dont je tourmenterai ton esprit et puis je me suis effondrée.

J’ai pris mes enfants, je suis partie, vidée de ma vie, vidée de ma confiance, vidée de ma fierté de femme de ma fierté de mère, absente de mes rêves, absente de moi-même.

Mais jamais, jamais tu ne sauras tout ce que tu as détruit; car cela pourrait te tuer ou pire me tuer.

A la fin de ce 2ème confinement tu sortiras. 150 jours c’est tellement court.

Tu seras de nouveau dans la rue, dans ma rue, ces enfants seront toujours les tiens et moi qui serai-je ???

Qui serai-je,

Qui serai-je,

Qui serai-je?

Une conque de lambi oubliée sur une plage qui attend le poète qui soufflera de la musique dans son corps ?

Non, je veux être Minerve la déesse de la guerre ou Vénus ou le Valhalla en majuscule qui guérit de toutes les misères du monde Je veux être le Valhalla. Je veux être le Valhalla.

En majuscule

Voilà petite sœur que je ne connais pas, je te prête ma plume j’espère qu’elle ne t’a pas trahie.

15 décembre 2020

Marijosé Alie