Chronique du confinement – Laurence Gavron : Récit de pré-confinement sénégalais

Ici à Dakar, le ciel est bleu, le soleil chaque jour au rendez-vous, comme d’habitude,…

Le 24 mars 2020

Ici à Dakar, le ciel est bleu, le soleil chaque jour au rendez-vous, comme d’habitude, et la chaleur un peu anormale de ce début d’année a fait place, depuis le début de la semaine, à un climat plus doux et plus aéré.

En-dehors de ça, rien n’est plus normal. Les rues ne sont pas vides mais beaucoup plus calmes que d’habitude, on peut rouler et arriver rapidement dans les différents quartiers. Certes les chaussées, les trottoirs, ne sont pas désertés, ce serait inimaginables en Afrique, mais on réussit à se garer, les administrations, les bureaux, les boutiques, sont nettement moins fréquentés qu’en temps normal. L’agitation habituelle semble s’être envolée, comme par un coup de baguette magique.  

Effectivement, ici comme partout à travers le monde, le temps n’est plus normal, la vie n’a plus rien de normale, même si, longtemps, on a fait semblant d’y croire, de penser que ce ne serait pas comme en Europe, que ça ne deviendrait pas catastrophique.

A ce jour, 38 malades déclarés, officiellement, du coronavirus. Est-ce qu’on nous dit la vérité ? Les paranos et les fake news sont bien évidemment partout. Il est vrai qu’ici en Afrique, au Sénégal, nombreuses sont les personnes qui se soignent mal, ne se soignent pas du tout, ou du moins si elles rendent visite à un docteur c’est plutôt un tradipraticien ou autre féticheur…. Donc comment savoir ? N’empêche ! N’empêche qu’il y encore 5 jours, j’étais en week-end à Saint-Louis, l’ancienne capitale et belle endormie, au nord du pays, en plein Sahel. N’empêche qu’on y a fait la fête avec notre ami le musicien et chanteur Souleymane Faye, que Robert Guediguian était en train d’y tourner un film sur le Bamako des années 60 (hommage au grand photographe Malick Sidibé), qu’on buvait des coups en rigolant, qu’on se faisait encore la bise et qu’on était tous un peu collés serrés.

On en parlait déjà, bien sûr, de ce satané coronavirus, de cet horrible Covid 19, depuis des semaines, de plus en plus, parfois en blaguant, d’autres fois en commençant à s’angoisser en voyant les autres pays, dont mon pays d’origine, la France, se battre contre cette maladie de plus en plus présente, en un mot être en guerre. Je crois que j’ai vraiment compris l’état du monde en écoutant le président Macron, il y a eu pour beaucoup de Français résidant à l’étranger, je crois, une prise de conscience à ce moment-là. (Je précise que je suis aussi de nationalité sénégalaise).

Ici à Dakar, et dans tout le Sénégal, nous ne sommes pas encore confinés, du moins pas officiellement. Les rumeurs sont partout, qui disent que notre président, Macky Sall, va demander le confinement ce week-end. Mais est-ce vrai ? Est-ce, surtout, possible, dans un pays où des milliers de petites gens doivent travailler, suer, vivoter, mendier, la journée, afin d’avoir de quoi manger le soir ? Dans un pays où l’indiscipline règne en maître, dans un pays où la promiscuité est telle que, confinement ou pas, le danger est partout ?

Le premier cas de Covid 19, amené par un Français revenant de France, a touché le pays le 1er mars dernier, ça fait déjà trois semaines. Etonnamment, on n’en est aujourd’hui qu’à (c’est toujours trop bien sûr, beaucoup trop, mais je relativise) 38 malades déclarés. Nous sommes tous ici en attente, en suspens, va-t-on vivre une sorte de miracle si l’épidémie est arrêtée rapidement et efficacement ? Ou alors, comme cela paraît plus probable, va-t-on assister à une catastrophe sanitaire et humaine, dans un pays dont les structures de santé ne sont évidemment pas aussi au point qu’en Europe ?

Nous restons encore collés à nos illusions, certains prient, beaucoup ici, bien que les mosquées aient été Dieu merci (!) fermées et les rassemblements religieux interdits, espérant un miracle, c’en serait un. Sans directive de la part du gouvernement, du moins pour l’instant, les gens ont commencé malgré tout à se confiner chez eux, depuis plusieurs jours. On le remarque aux boutiques fermées, aux rues presque vides, aux supermarchés dans lesquels il n’y a presque plus d’eau minérale, de beurre, de farine… Partout où nous nous rendons on nous tend du gel hydro-alcoolique pour nous laver les mains, mais malgré tout, pour le moment, la vie continue, ce n’est pas l’absence totale d’activité, de vie, comme ce que j’imagine dans les capitales européennes, américaines, israéliennes…

Je suis allée faire des énormes courses avec ma fille, enfin surtout pour elle et ses 4 enfants, moi je n’ai pas besoin de grand-chose et je reste optimiste.

Maintenant que j’ai presque terminé les travaux chez moi je me retrouve seule, pré-confinée, mais un peu confinée tout de même, devant mon ordinateur bien sûr. Vive internet !

Accrochée au réseau, recevant toutes les quelques minutes photos et vidéos, via Whatsapp ou Messenger, informations plus ou moins nouvelles, plus ou moins véridiques, appels et messages des amis ici même ou à l’étranger, de la famille, des proches et des moins proches…

Je suis confrontée à une sorte de recadrage, on pense aux autres, à la solidarité, on commence, les premiers jours, par se centrer sur les choses importantes à faire, à penser… puis parfois on s’oublie aussi en regardant une bonne série ou un film un peu moins bon. J’avoue que les premiers jours, je n’arrivais même pas à vraiment me concentrer pour lire ou visionner un film, moins encore pour écrire. Et puis soudain est revenue, ce matin, l’urgence d’écrire, de dire, de raconter, aux autres, à mes sœurs et frères humains, à travers le monde, ce monde dans lequel nous sommes tous face aux mêmes menaces, aux mêmes angoisses, aux doutes qui nous envahissent quant à nos vies, nos modes de vie.

J’hésite sans cesse entre la bonne humeur, sortir, côtoyer des gens, même si c’est d’un peu plus loin qu’habituellement, et rester chez moi tranquille, mais même chez moi il y a beaucoup de passage, l’électricien, la dame qui aide à la maison, le jardinier, les gardiens des voisins, les vendeurs de tout et n’importe quoi.

Mon gardien dit que Dieu va nous aider, va privilégier l’Afrique, pour une fois ! J’aimerais tant le croire, y croire, mais c’est difficile d’abandonner son athéisme si bien ancré en soi-même et dans sa culture, son ADN. Croire en un miracle parce qu’on en a tellement envie, parce qu’il le faut, parce que sinon ça risque d’être terrible, l’Afrique, le Sénégal, ne sont pas prêts à recevoir cette malédiction, si l’Europe a du mal à y faire face, comment allons-nous faire ?

En attendant, certains prient, d’autres travaillent, tous nous nous préparons, sans aucune expérience, avec l’espoir et la foi dans ce pays qui avait réussi si rapidement à nous débarrasser d’Ebola (un seul cas, vite guéri) à l’époque.

En ce vendredi midi, nous attendons l’heure de la grande prière, afin de voir si les bons musulmans auront obéi aux consignes et n’envahiront pas les rues à la sortie des mosquées comme c’est habituellement le cas.

Nous saurons certainement, d’ici le week-end, si nous devons véritablement nous confiner et si nous allons réussir à le faire.

Je vous ferai d’ici là un récit de confinement, puisque celui-ci n’est qu’un journal de semi-confinement.

Laurence Gavron