Chroniques du confinement – Sylvie Le Clech : Le « cloître » du XXIè siècle. Penser par soi-même me dit –il : Arcueil, place de la mairie, samedi ensoleillé. Requiem pour une élection défunte, lundi de Pâques 2020.

Le « cloître » du XXIè siècle Aussi longtemps qu’il m’en souvienne, j’ai connu des cloîtres et…

Le 14 avril 2020

Le « cloître » du XXIè siècle

Aussi longtemps qu’il m’en souvienne, j’ai connu des cloîtres et des surexpositions qui forment le parcours de ma vie depuis l’enfance. J’ai même choisi le métier d’archiviste et l’écriture de l’histoire pour expérimenter alternativement le cloître de l’histoire des autres et ma propre surexposition choisie ou subie. J’aime depuis toujours le bruit, la chaleur et la lumière, le vent sur mes joues, mais aussi ce silence de notre vie actuelle, l’enfermement que nous avons à deux avec mon compagnon de route de toujours. Ces derniers jours ont été ponctués par le ballet incessant des hélicoptères au-dessus de l’institut Gustave Roussy et les chaînes d’information en continu. Je reste reliée au monde par une discipline d’ascète, faite d’utilisation de moyens informatiques et de conversations avec les amis et proches de toujours, de travail et de méditations, de séances de gym dans la maison. Je ne dirai jamais assez combien la présence d’escaliers en colimaçon m’a permis de découvrir de nouveaux mouvements, dans un espace que je ne connaissais que depuis peu. Je suis un écureuil dans sa roue qui discute avec d’autres écureuils de ma sorte. Je suis à l’écoute des états d’âme des autres âmes qui se confient. Ames contemplatives, âmes actives, une alternance de femmes qui optent pour des rôles différents, Marthe, toujours affairée (ma fille, soignante, que nous applaudissons tous les jours dans notre cuisine à 20h), Marie (je m’y essaie, c’est sincère).

Entre cloitre de l’écriture, de la recherche et diffusion de cette même écriture, pas de choix possible pour moi, sinon que de réfléchir alors chaque jour sur certaines claustrations de sages du passé, parmi lesquels, celles des femmes de la Renaissance. Il y a quelques jours, je termine fort tard une soirée d’écriture par la lecture des Œuvres chrétiennes de Gabrielle de Coignart. Cette femme, veuve d’un juriste toulousain, née au bord de la Garonne, qui fertilise les sols des campagnes environnantes, a élevé seule ses deux filles. Jeanne et Catherine lui ont réservé une preuve d’amour posthume, l’édition de ses sonnets, en 1594. J’aime l’écriture de Gabrielle, son élévation comme la communication sensuelle qu’elle entretient entre elle, les animaux et les paysages de la campagne toulousaine dans laquelle elle aime à se promener. Clouée sur son lit par une mauvaise coqueluche, Gabrielle médite, Gabrielle a des soucis, des colères, des répits, en bref, elle stresse à mort ! Dans un autre de ses sonnets, je m’arrête sur cette phrase qui me rappelle une autre de mes claustrations paradoxales passées, une vieille habitude d’enfance qui consistait à sortir pieds nus dans la nuit pour écouter le silence et attendre l’heure bleue, celle où ce silence est absolu, entre la fin des bruits du jour et l’annonce de l’aube. Gabrielle s’éveille à minuit, « le silence est partout, la lune est belle et claire, le ciel calme et serein, la mer retient ses flots ». Et cela me renvoie à cette nuit passée dans l’archipel des Glénans, au mois d’août 2004. Je sortis du gîte marin et avançai dans la nuit marine pour m’asseoir sur le petit mur qui permet d’admirer les voiliers à l’ancre, dodelinant du bastingage comme de gros oiseaux maladroits. Je vois très bien dans la nuit, c’est même l’un de mes amusements préférés, voir et m’orienter dans la nuit. Le lendemain, je me suis aperçue que plusieurs nyctalopes étaient, cette nuit-là, sortis sentir le silence breton. Sans le savoir, affairés à percer de nos yeux le mystère de cette nuit, nous n’avions pas remarqué la présence les uns des autres.  Revenons à mon héroïne du moment, qui m’inspire, par analogie à la situation que nous vivons.  Le silence de la nuit était pour Gabrielle le moment où sa méditation lui permettait de transcender ses soucis et ses angoisses, de vivre à l’avance une mort possible, sous la voûte céleste. Pour moi, le silence de la nuit n’est pas la mort, il est la reconnaissance d’une suspension du temps, un vide que l’on décidera de remplir à son aise, de vider à nouveau et de remplir, un cycle rassurant, une suspension révolutionnaire où je peux mettre cul par-dessus tête, dans un charivari mental, idées et sensations. Cette sensation d’alternance de vides et de pleins, c’est ce qui définit aussi l’architecture, le dessin, mais aussi le dessein, ce que je projette, ce que je veux. Je l’avais ressentie quand clouée au lit pour une grossesse difficile, j’avais dû abandonner trois mois le chantier passionnant auquel je me consacrais. Durant le premier mois, retour dans mon Finistère, sur le lit placé sous l’étage où ma mère se retira de la vie un soir, avant le silence de la nuit, une autre nuit, celle de ma douleur et celle de mes proches. Le chat noir de mon père est venu chaque jour se coucher sur mon ventre, brisant le silence de la maison et me donnant l’occasion d’accompagner, par ses ronronnements, le rythme de mes méditations. Ce retrait partiel du monde me permit de mieux le retrouver après la naissance du bébé, avec cette soif d’action, quoi qu’il en coûte. Avec Evelyne, jeune architecte réunionnaise venue à mon chevet, nous en profitâmes pour construire l’une des premières visites virtuelles encore disponibles sur ce merveilleux espace de liberté qui commençait à peine, le Net. Croiriez-vous que nous aurions choisi Notre Dame ou quelque grand chef d’œuvre du patrimoine ? Que nenni, nous nous sommes consacrées à faire découvrir l’observatoire de Camille Flammarion, à Juvisy, en numérisant et assemblant des images d’archives, en écrivant les textes de l’histoire de Camille, de ses hôtes et de ses deux épouses successives, de ses observations céleste nocturnes. Aujourd’hui, je médite sur le cloître du XXIè siècle, le nôtre. Le cloître est-il notre enveloppe corporelle, décrite comme une quasi prison dans l’ode que ma Gabrielle du XVIè siècle compose pour la mort de son ami, le poète Ronsard, ce corps qui fait l’objet de toutes les angoisses et de tous les soins, des plus égoïstes, narcissiques aux pratiques les plus altruistes de soin des autres, au péril de sa propre vie ? Le cloître est-il celui de l’amour pour un homme ? Une chose est sûre, le cloître est aussi ma maison aujourd’hui et ce cloître s’étend même à des univers, virtuels, mon espace internet, mon réseau, mais aussi réels, ma promenade du soir pour ravitailler la maisonnée. C’est un cloître productif dans lequel je suis mon propre bourreau, que j’apprends à apprivoiser. Pas besoin d’écrire un blog de développement personnel, ce qui m’intéresse actuellement est d’être reliée à vous dans le confinement. Le récit de confinement est le lointain cousin du « livre de peste » du XVIIIè siècle des provençaux de Marseille, du « livre de raison » de tous ceux qui sans viser le Goncourt (qui n’existait pas !) ou le prix de palinodie, écrivent sur le cours de leur vie. En bonne petite taupe que je suis, dernier de mes avatars choisis, je sais que la lumière est au bout du tunnel. Elle se manifeste déjà, par nos fenêtres. 

20 mars 2020

Penser par soi-même me dit –il : Arcueil, place de la mairie, samedi ensoleillé

Ce matin de confinement, je me dirige vers la promenade habituelle de mon petit compagnon à 4 pattes et je repère, non loin de la mairie d’Arcueil, un marché où chacun, respectant la distance de quelques mètres, semble attendre la distribution de cartons. Je regarde avec attention la scène : de jolis cartons remplis de produits frais, légumes essentiellement. Mon esprit d’observation, est attiré par le tablier de l’une des femmes qui distribue les légumes, au nom d’une association au doux nom de « La ruche ». Une clientèle sage, plutôt bobo, patiente, avec charriots colorés. La chienne et moi revenons de la promenade. J’aime observer le comportement de mes contemporains et je ne suis pas la seule. D’autres observateurs s’enhardissent. L’un d’eux, du genre de ces rencontres que l’on n’oublie pas car elles ont un caractère burlesque totalement improbable qui s’appelle…la vie, est un homme méridional qui spontanément m’interpelle. Je dois inspirer confiance, c’est ce que je me suis toujours dit. J’ai un talent incroyable pour attirer les mecs et les nanas qui parlent tous seuls, tout haut, n’osent pas poser les questions qui dérangent et veulent trouver une bonne âme qui les écoute. Mon gus s’arrête comme moi devant la longue file d’attente et entame la conversation. Il me demande ce que signifie la scène que nous avons sous les yeux. Je lui réponds que j’ai compris que des personnes, sans doute par internet, ont commandé des paniers et qu’elles viennent retirer leur commande. Mon interlocuteur embraye directement sur le caractère étrange de la situation. Comment, alors que les pouvoirs publics ont demandé la fermeture des marchés, autoriser ce rassemblement ?  S’ensuit une discussion que je n’oublierai pas, car elle fait partie de mes préférées : le contact inopiné avec une personne qui reconnait simplement que nous sommes deux humains. Certes, nous ne nous connaissons pas, mais qu’importe ? Ce monsieur a quelque chose à me dire, je suis de mon côté très désireuse de l’entendre, son point de vue m’intéresse et à la conversation s’engage. Il me dit : je vous pose la question, d’où ces personnes viennent  elles, je n’ose poser la question, je vais me faire rejeter, ou faire regarder de travers, c’est quand même bizarre ces personnes qui se rassemblent ici. Je lui dis : ce que j’ai compris, c’est qu’il s’agit d’une association qui livre à ses adhérents les produits qu’ils ont demandés. Ce simple échange en ouvre un autre, plus profond. Mon interlocuteur me dit qu’il vient d’un milieu pauvre et peu instruit, mais ce qu’il analyse dans la société, c’est une tendance du peuple à « se mettre dans les poches des puissants ». Pour lui, ces derniers, auxquels nous avons donné notre confiance et libre arbitre, n’ont que faire de nous, ils décident pour nous et se croient au-dessus de tous. Il me dit : «  depuis tout petit, j’essaye de m’informer, de me documenter, de penser par moi-même, et je sais que je dois compter sur moi-même, trouver les solutions par moi-même ». En bref, cet homme me décrit l’indépendance d’esprit, la curiosité, mais ne se met pas en avant pour autant : « sur certaines choses, je sais, j’ai du retard, mais j’ai appris mon métier, en une semaine, alors que d’autres mettent 8 ans, je sais que c’est différent, mais moi aussi je sais des choses ». J’ai aimé cette conversation. Avant le confinement, il est certain que je ne l’aurais jamais eue, ce monsieur ne m’aurait pas croisée, nous n’aurions pas pris le temps de nous considérer, j’aurais à jamais ignoré cette réflexion qui vient de quelqu’un qui socialement est différent de moi, mais si proche humainement. Nous voici ce matin tout simplement lui et moi en train de nous demander qui sont ces gens qui font la queue devant nous. A partir de la même question, nous en venons à partager sur le bien inestimable entre tous : la liberté de penser. Il me dit que quand il pose des questions, il dérange. Je lui dis que moi aussi. Il sourit, moi aussi. On n’a pas perdu notre journée ! Merci monsieur l’inconnu, le temps bref d’une rencontre, nous avons pu échanger sur qui nous sommes, au fond et au-delà des apparences sociales. 

30 mars 2020

Requiem pour une élection défunte, lundi de Pâques 2020

Désormais, l’observation des changements de la nature m’est devenue un nouveau rituel, tout comme renaît l’un de mes péchés favoris, l’association d’idées à partir d’un mot ou d’une image. Munie de l’ausweis quotidien d’une heure, je sillonne les rues de ma banlieue et m’étonne chaque jour de ce que le symbole soit au coin de la rue, me permettant de composer une petite musique d’idées vagabondes. Ce matin-là, je fais la rencontre d’un tract électoral, gisant à terre, au pied d’une façade, toisé par un plant de coquelicots. Cette scène étrange vous m’avouerez à 2 km de Paname m’inspire en ce lundi de Pâques, ce requiem pour une élection défunte. Le plant de coquelicots me dis-je d’abord, rappelle la symbolique des champs de la guerre 14, lorsqu’après la mobilisation générale, les champs de blés se sont couverts de cette fleur si républicaine. L’on avait à l’époque promis aux combattants qu’ils seraient chez eux pour les moissons. Petit à petit, les coquelicots sont devenus les morts de la guerre, gouttes de sang parsemant les champs. Ici, ces coquelicots faisant du tourisme au-delà du périphérique sont venus on ne sait comment. Leurs fleurs sanguines s’inclinent devant le papier plié en six et prient pour son âme. Nous approchons Pâques, mais les élections mettront sans doute plus de trois jours à sortir de leur tombeau. Ces élections, on les appelle, dans le jargon des administrations averties, « la respiration démocratique ». Jadis, comme tout le monde, je riais de cette expression. Aujourd’hui, elle me donne l’impression de ces blagues lourdes auxquelles il est de bon ton de rire au motif qu’elles émanent de ceux qu’il serait fâcheux de s’aliéner. Comment peut-on considérer qu’une élection soit l’occasion de « respirer » ? Vit-on en apnée entre deux scrutins ? Cette « respiration » me rappelle qu’aujourd’hui, il est question de souffle, de ce manque de respiration chez les malades atteints par le covid19 mais aussi d’esprits confinés. Quand reprendrons-nous notre souffle et sera-t-il aussi puissant pour affronter la fin du confinement qui aura tour à tour énervé, amolli, angoissé nos esprits et nos nerfs ? Je respire alors un bon coup pour oxygéner ce cerveau qui n’en fait qu’à sa tête, pour me demander pour quel candidat(e) je voterai. Car quand le coquelicot sera fané, le trac réduit en bouillie par les pluies, le dé confinement programmé, nous reprendrons le chemin des urnes. Nous repenserons à ces semaines qui nous permettent de réfléchir à nos vies, aux actes qui changent des vies, qui les rendent belles, à l’inanité de cette actuelle rhétorique guerrière qui passe souvent à côté de l’essentiel. Nous ne sommes pas en guerre, la guerre ce sont des bombes qui mutilent et déchiquètent des corps sur les routes des exodes, des gaz qui tuent des civils. Au nom de la guerre on renonce aux libertés fondamentales, on fait du marché noir, on dénonce, certains ont même le droit, comme Anne Franck, à des confinements d’un raffinement sadique inédit. Or nous affrontons l’adversité et ce que nous vivons a à voir avec le drame, celui de la condition humaine. La différence avec la guerre, c’est que nous n’en sortirons pas déshumanisés, même si nous luttons contre l’Ange qui sommeille ne nous. Je courbe la tête sous cette adversité mais peste entre mes dents et me souviens que Le Canard a titré il y a peu, « Pestez chez vous ». Voilà l’association que je tiens, je ne la laisserai pas filer, elle va me faire la semaine !  Libera me chante le requiem. Je voterai, une fois cette élection morte née revenue à la vie, pour un candidat « pesteur » menant une liste « pesteuse », au motif que les pesteurs respirent, postillonnent même et pas seulement tous les 6 ans. Le « pesteur » chasse une peste plus ordinaire qui fait des ravages, la paresse intellectuelle. Pestant, le « pesteur » couvre les couinements des éternels geignards, machines à fabriquer de la déprime au kilomètre. Le « pesteur » est une grande goule, il n’est pas né fatigué. Pesteur pestant, le pesteur respire mais ne pompe pas l’air, donne des solutions, agit, et réfléchit, au-delà du tableur Exel. Le « pesteur » n’aime pas les économies de bouts de chandelle, n’aime pas être dépendant d’une production qui lui échappe. Il n’est pas « à la recherche de sens », il l’a trouvé et s’il se trompe…il change de sens, quitte à prendre les sens interdits. Molière qui, comme tous les artistes pesteurs, ne « cochait pas toutes les bonnes cases », pestait en ces termes que je médite chaque jour : « peste soit des fâcheux » !

13 avril 2020