Chroniques du déconfinement – Suzanne Dracius : Nos beaux demains. Quatorzaine et plages en dynamique. Alizés de liberté. Pas de site, pas d’eau, pas de plage. Pas de brasse, pas de chocolater son corps. Apocalyptique mascarade.

Nos beaux demains « Si ces hiers allaient manger nos beaux demains ? Si la vieille…

Le 19 mai 2020

Nos beaux demains

« Si ces hiers allaient manger nos beaux demains ?

Si la vieille folie était encore en route ? »

À l’instar de Verlaine, il y a de quoi s’interroger. Et si dans le déconfinement ne revenaient que les choses moches, comme les embouteillages, les queues devant les magasins, les moitiés de visages masqués dont on ne voit pas les sourires… Il faudra que les yeux sourient vraiment pour que l’on décèle les sourires, alors que les choses plaisantes, bienfaisantes et sympathiques seront toujours interdites, suspectes, considérées comme dangereuses… Pas de théâtre, pas de terrasses de bistrots, pas d’agapes au restaurant, pas de cinéma, pas de colloques, pas d’expos, pas de vernissages, pas de forêts, pas de parcs, pas de plages…

Dimanche 10 mai, 55e et dernier jour de confinement

Quatorzaine et plages en dynamique

Le Conseil Constitutionnel a invalidé « la quarantaine obligatoire des personnes venant de l’étranger ou arrivant dans une collectivité d’Outre-mer ».

Autrement dit, permis de contaminer, si aucun test ni aucun suivi n’est pratiqué ni au départ ni à l’arrivée.

Et le refus de rouvrir nos plages « en dynamique », il l’invalide ?

Je suis lasse que nos différences ultramarines ne soient jamais prises en compte qu’en notre défaveur.

2è jour de déconfinement, mardi 12 mai 2020

Alizés de liberté

Un vent de liberté souffle sur les plages françaises… Quid des Antilles ? Un vent de liberté mais pas d’alizés de liberté Outre-mer ?

Vraiment pénible, que nos différences ultramarines ne soient jamais prises en compte qu’en notre défaveur.

« Donner son corps à un nègre » signifie « libérer un esclave », sous la plume de Pierre Dessalles, colon français de Martinique, au XIXe siècle.

« Donner leur corps » aux nageurs, baigneurs, surfeurs etc., « en mode actif », corps sages sur des plages dynamiques, pour nager, faire des sports nautiques sans regroupements ni pique-niques, serait-ce vraiment trop demander, en Martinique ? Serions-nous indignes de recouvrer cette liberté ? Pourquoi ne pas nous « donner nos corps » ? Serions-nous les « jouets sombres », plus irresponsables que les hexagonaux ?

3è jour de déconfinement, mercredi 13 mai 2020

Pas de site, pas d’eau, pas de plage

Je suis débordée, y compris par d’inhabituelles tâches ménagères en plus de l’écriture, ma femme de ménage ne venant plus : c’est une malheureuse qui habite loin, il n’y a toujours pas de transports en commun, la pauvre n’a pas de voiture et a un enfant en bas âge… La pandémie ne se contente pas d’infecter, elle affecte plus encore les pauvres gens… Je l’ai payée pendant le confinement, sans pouvoir bénéficier de l’aide de l’État, sous prétexte que je ne l’avais pas depuis janvier ; effectivement je venais d’en changer, situation ubuesque : la précédente m’avait quittée pour partir en croisière, – ces maudites croisières qui ont importé cette saleté de coronavirus en Martinique…

Pas de jardinier non plus… Résultat, ma maison est un capharnaüm et mon jardin une jungle. Chance, mon doudou, excellent maître-queux, fait les courses et la cuisine, je me régale, c’est déjà ça.

Quelle période cauchemardesque ! Mon site Internet est kaputt, en travaux… Sur ces entrefaites, j’apprends que les plages de Martinique sont toujours interdites. Il y a eu hier une réunion avec le préfet, qui propose d’autoriser les plages « dynamiques » du lever du soleil à 11 h, mais les maires ont peur de se mouiller. De pusillanimes édiles se sentent responsables pénalement ; pourtant il semble qu’il ait été voté une immunité… Mais pas d’immunité électorale ! On parle d’organiser le deuxième tour des élections pour très bientôt, on s’empresse d’affirmer que le premier tour desdites municipales n’aurait pas accéléré l’épidémie, une étude à l’appui, quoique plusieurs personnes aient été contaminées au coronavirus après avoir tenu des bureaux de vote… Par contre ils vont pleurnicher à cause du tourisme sinistré. On nage dans les incohérences, à défaut de nager dans la mer. Et l’on prétend se soucier de la santé de la population martiniquaise, en allant à l’encontre d’avis médicaux ?

Avec, pour couronner le tout, en plein corona, la coupure d’eau qui dure au moment même où l’on a encore plus besoin de se laver les mains tout le temps, c’est la totale ! Pas de site, pas d’eau, pas de plage ! Chance, il me reste mes bras et j’ai droit au chocolat, mais sans nage possible, j’enrage. Grâce à la l’écriture, je surnage.

Un filet d’eau coule parcimonieusement mais seulement en bas dans la cuisine. Je file faire des réserves d’eau avant de retourner écrire.

5è jour de déconfinement, vendredi 15 mai 2020

Pas de brasse, pas de chocolater son corps

Pas de brasse, pas de chocolater son corps – à l’inverse du sens créole !

Je croise les doigts, en attendant de pouvoir étendre les bras en nageant la brasse.

Je ne vais pas encore nager dans la mer, mais c’est en route, puisque grâce à la Justice nous avons déjà eu raison du couvre-feu, bon sang, en Martinique nous ne sommes pas plus sauvages que dans l’hexagone ! Secundo, « la question de l’accès aux plages et, en particulier, de la navigation nautique et des activités sportives, est examinée ce samedi matin par le tribunal administratif de Martinique, saisi par deux avocates, au nom d’un professionnel du nautisme. A l’origine, Maîtres Alexandra Chalvin et Alizé Apiou contestaient aussi l’arrêté instaurant le couvre-feu. Une requête sans objet puisque déjà tranchée ce vendredi. »

Et l’eau courante est revenue dans la nuit ! Je cours à la douche !

Puisse le problème de mon site se résoudre aussi !

6è jour de déconfinement, samedi 16 mai 2020

Apocalyptique mascarade

Le délibéré sera rendu demain, lundi 18 mai 2020, pour l’accès aux plages de Martinique. Suspense ! Et ensuite, sachons nous montrer dignes de notre environnement, quittes à ce qu’il ne soit qu’une « version absurdement ratée du paradis » avec un clin d’œil à Césaire, au-dessus du masque, et un sourire sous le masque, dans cette apocalyptique mascarade.

Masculin ou féminin, le ou la Covid peut passer par les yeux, altérer goût et odorat, aiguiser la clairvoyance.
D’un regard aigu on perce l’hypocrisie sous les masques, on détecte les perfidies. Se révèlent les mauvais penchants. En confinement sortent au grand jour les jalousies, les mesquineries ; en déconfinement se déchaînent délires et débordements, incivilités, égoïsmes, mauvaises manières et manquements divers.

N’en jetez plus ! Les masques, plus grave que de ne pas en porter, c’est criminel de les jeter partout !

 « Bas les masques » ne signifie pas « à terre les masques » ! Les gants, idem ! Mettre des gants si on veut mais pas dans la nature ! Ni sur les plages ni dans les forêts ni ailleurs !

Dimanche 17 mai 2020, 7e jour de déconfinement